Le mal et la liberté de Kant
L’histoire de la nature commence donc par le Bien, car elle est l’œuvre de Dieu; l’histoire de la liberté commence par le Mal, car elle est l’œuvre de l’homme. (p.154)
Selon Kant, le début de l’histoire humaine commence par la perte de l’innocence de l’homme qui se traduit par une libération à l’égard des instincts. Usant de son pouvoir de réflexion, l’homme passe de la rusticité d’une créature purement animale à l’humanité. Avec la liberté, l’homme a acquis le pouvoir de commettre le mal, puisqu’il a pris la responsabilité de ses actes. L’existence du mal dans l’homme est donc inséparable de la liberté, ce qui correspond à un dessein accompli de la nature.
Cette thèse s’exprime dans une analyse de Kant sur la faute d’Adam et Ève. Au début, c’est un couple unique qui se situe dans une sorte de jardin paradisiaque. L’instinct leur permet certaines choses pour sa nourriture, en interdisant certaines autres. Dès qu’ils obéissent à l’instinct, voix de Dieu, ils s’en trouvent bien. Pourtant, la raison commence à s’éveiller. Le couple cherche à étendre ses connaissances en créant artificiellement des désirs. Ils goutent le fruit par analogie avec le souvenir d’autres fruits agréables cédant à la tentation. Ils découvrent donc un pouvoir de choisir, et de ne pas suivre leur instinct comme une conduite unique. La raison manifeste son influence non seulement sur l’instinct de nutrition, mais aussi sur l’instinct sexuel. Contrairement aux animaux, les hommes trouvent bientôt que l’excitation sexuelle est susceptible pour eux de se prolonger sous l’effet de l’imagination. La feuille de figuier montre que l’homme est conscient de ses inclinations et que son excitation sexuelle ne repose pas seulement sur une impulsion passagère. Cette conscience conduit l’homme du désir purement animal à l’amour. Le sentiment du plaisir fin devient le goût du beau. Les hommes commencent à réfléchir aussi sur son avenir qui se traduit par la conscience de la mortalité. Ils se préparent à des fins lointaines plein de soucis et de peines. Enfin, ils comprennent qu’ils sont proprement la fin de la nature en découvrant un privilège qu’ils ont sur tous les animaux.
Tout ce progrès accompli par la raison aboutit à la chute du point de vue morale. En faisant usage de sa liberté, l’homme ne songe qu’à soi-même et cette perte de l’innocence se manifeste par l’apparition du mal. Par conséquent, le départ de l’homme du paradis permet la naissance de la liberté qui commence par le Mal. Du point de vue de la nature, cette chute est en fait le commencement et la condition du progrès moral puisque l’homme s’oriente vers sa fin qui était réservé à lui par la nature.
Après une libération à l’égard des instincts, l’homme exprime son mécontentement sur l’ordonnance de la nature. Premièrement, la nature pèse sur l’espèce humaine les maux sans l’espoir d’une amélioration. Or, il est important de garder courage au milieu des difficultés et accepter notre faute propre sur le destin. L’amélioration personnelle devient notre remède. Deuxièmement, les hommes souhaitent que la vie doive se prolonger plus longtemps que sa durée réelle. Pourtant, l’homme commet tant de vices pendant sa vie courte, qu’il ne mérite pas sa vie plus longue. En plus, on ne souhaite pas de prolonger un jeu où nous trouvons constamment en difficulté. Finalement, l’homme rêve du monde coulé dans la paresse et exempte de soucis où règne une égalité parfaite et une paix éternelle entre les hommes. Il a envie de retourner aux temps de l’innocente simplicité, mais il oublie que ce monde primitif ne lui suffit plus. L’homme ne saurait plus s’y maintenir. Par conséquent, l’homme doit reconnaître que tous les maux qui retombent sur l’homme ne sont pas l’œuvre de la nature. Ils découlent plutôt du mauvais usage par l’homme de sa raison. Si l’homme n’était pas responsable pour tous les maux commis, il se rendrait compte qu’il se produirait le même résultat de ses actions malgré son amélioration personnelle. Donc, il aurait commencé par agir contre les indications de la nature en faisant un mauvais usage de la raison.
Pour conclure, Kant veut affirmer le libre arbitre de l’homme dans ses affaires humaines, d’où découle le mal comme un élément nécessaire de l’éducation de l’humanité. En même temps, l’homme réalise le dessein de la nature selon ses inclinaisons déterminées. Il s’agit de la perfection de l’humanité qui se déroule lentement du pis vers le meilleur. D’un côté, l’homme a des raisons d’inscrire au compte de la Providence tous les maux qu’il endure pour justifier ses actes. De l’autre, il peut admirer la sagesse et la finalité de l’ordonnance de la Nature qui appelle chacun dans la mesure de ses forces à contribuer à un progrès humain.
Bibliographie:
- Kant, Opuscules sur l’histoire, édition: Philippe Raynaud, traduction (Allemand) : Stéphane Piobetta, Flammarion, 1990