La recherche sur la nationalité
Dans mon travail, je vais essayer d’analyser l’identité nationale et de la présenter comme un concept qui sera assez différent des opinions populaires. L’essai On Nationality (1) de David Miller sera mon cadre théorique sur lequel je vais développer des questions et réponses critiques sous la forme d’un monologue. Le plus grand défi concernant l’exposition de l’idée de nationalité concerne les réponses à un certain nombre de questions : de quoi est faite une nation, en quoi une nation diffère-t-elle d’une autre et où se trouve la frontière d’une nation. La description et l’évaluation de la nationalité en général sont compliquées par le fait qu’il existe de grandes différences entre les sociétés et la diversité des opinions sur ces différences. Même les personnes d’origine sociale similaire diffèrent les unes des autres, ce qui peut sembler remettre en question le projet d’unification nationale. Ou peut-être que l’idée de nationalité est purement mythique, une idée subjective qui n’a jamais existé et n’existe pas dans la réalité ? La loyauté nationale est devenue une question radicalisée qui peut être facilement manipulée dans l’environnement politique pour soutenir tel ou tel dirigeant politique ou parti. Un acte d’agression internationale, faisant appel à l’idée nationale et aux intérêts nationaux vitaux, ou la discrimination d’un groupe social par rapport à un autre à l’intérieur des frontières d’un pays sont des exemples par lesquels les critiques repoussent l’idée nationale vers un idéal international ou une forme quelconque du cosmopolitisme. Rejetant l’idée de nationalité au nom de l’appartenance à la race humaine, il semble aux cosmopolites que le monde deviendra plus pacifique et plus ordonné, mais cette opinion n’explique pas les différences entre les différents groupes nationaux. En fait, il y a quelque chose qui incarne en nous l’appartenance à l’un ou l’autre groupe spécifique, et non à une masse abstraite de personnes. Nous pouvons soudainement ressentir quelque chose qui nous lie à notre fraternité nationale. Et même quelqu’un qui, dans des conditions normales, professe une totale indifférence à l’égard de la nationalité, est très susceptible de ressentir la convergence de son identité avec la communauté lorsque le sort de la nation est décidé collectivement. Miller souligne que même si l’on définit une nation à travers l’expérience partagée d’un groupe spécifique de personnes vivant dans un lieu spécifique, cela ne suffit pas à expliquer le poids de la loyauté d’une personne envers son identité nationale (2). Essayons donc de comprendre les thèses de la description de la nation par Miller, en évitant autant que possible une explication abstraite du concept d’identité nationale.
Une nation existe-t-elle en tant que chose en soi ou est-elle un phénomène purement subjectif ? Miller pense plutôt que les nations ne peuvent exister par elles-mêmes, contrairement aux volcans ou aux éléphants (3). Lorsque nous observons un éléphant ou un volcan, nous pouvons identifier des critères par lesquels nous comprendrons que nous voyons telle ou telle chose. Avec une nation, les choses sont beaucoup plus compliquées. Une nation, selon Miller, n’existe pas dans le monde indépendamment des croyances sur elle-même. Autrement dit, si nous demandons à une communauté ce qu’est une nation, nous pouvons obtenir des réponses contradictoires. Une nation est comme une équipe dans laquelle un ensemble de personnes peuvent se voir comme faisant partie d’un moteur pour atteindre un objectif commun. Chaque membre d’une telle équipe coopérante a des obligations collectives. Une équipe peut aussi être un groupe de personnes jouant ou travaillant ensemble, mais leur motivation est soutenue par des ambitions personnelles et non par l’esprit d’équipe. Pour Miller, il est vain de se demander si les Écossais ou les Québécois constituent une nation distincte, puisqu’il s’agit d’interpréter ce que les gens croient d’eux-mêmes. De plus, aucun empirisme qui examine les croyances des gens sur leur place dans le monde ne peut résoudre la question. Les attitudes et les croyances qui constituent une nation sont très souvent cachées dans les recoins de l’esprit, et ne sont pleinement conscientes que par un événement dramatique. À cet égard, Miller adopte une position antiréaliste, selon laquelle la définition d’une nation ne repose pas sur un raisonnement logique mais sur la capacité d’une personne à croire qu’elle appartient à une nation (4). On pourrait même dire que cela correspond à la théorie pragmatique de la vérité : « Une proposition est vraie si elle est utile à notre propos. » Il nous appartient donc de décider si la proposition « J’appartiens à une nation » est utile, et donc vraie. Cependant, on pourrait se demander si cette affirmation est vraiment vraie. Le fait qu’une affirmation soit utile ne signifie pas qu’elle soit vraie. Elle peut être utile mais fausse. Contrairement à Miller, je vais adopter une position réaliste, en essayant de soutenir qu’une nation existe indépendamment de ce qu’une personne pense d’elle. Si nous parlons d’une nation en tant que communauté, nous parlons avant tout de quelque chose que tous les membres de cette communauté partagent. Et ce quelque chose existe indépendamment du fait que nous croyons ou non appartenir à une nation.
Miller note que très souvent, le terme « nation » est utilisé comme synonyme d’État, ce qui est un malentendu courant (5). Les États peuvent être multinationaux, comme ce fut le cas en Union soviétique, qui comptait plus d’une centaine de nations. Les nations peuvent aussi être divisées en plusieurs états, comme en Allemagne de l’Ouest et de l’Est. Enfin, les nations peuvent être dispersées en tant que minorités dans plusieurs États. Les Kurdes ou les Palestiniens vous le diront. Autrement dit, l’hypothèse selon laquelle une nation est pleinement unie politiquement dans un seul état nous éloigne complètement du principe de la nation. Une autre prémisse fausse consiste à considérer une nation comme ethniquement homogène. Disons, de manière quelque peu conventionnelle, qu’un groupe ethnique est une communauté formée par une origine biologique (race) et des caractéristiques culturelles (langue, culture, religion, etc.) communes. Oui, une nation, comme un groupe ethnique, peut partager des caractéristiques biologiques et culturelles communes, mais une seule ethnie n’est pas une condition préalable à l’existence d’une nation. De nombreuses nations qui avaient un caractère exclusivement ethnique ont, au fil du temps, englobé de nombreux groupes ethniques différents. L’exemple le plus frappant est celui de la nation américaine, qui était à l’origine ethniquement anglo-saxonne, mais qui comprend aujourd’hui des Américains d’origine irlandaise, des Américains d’origine italienne et d’autres groupes ethniques. Pour Miller, ignorer la distinction entre nation et ethnie conduit également la discussion sur la nationalité à un faux départ (6). On peut même citer l’exemple des États dits mono-ethniques de France ou d’Espagne, qui en fait ne se composaient historiquement pas d’une seule ethnie. Les Normands, les Bretons et les Alsaciens peuvent être considérés comme des groupes ethniques distincts en France, tandis que les Basques et les Catalans constituent une « ethnie » diverse en Espagne. Les opposants aux États multinationaux utilisent le terme de « nation titulaire » qui gouverne l’état, et les autres groupes ethniques n’ont aucune influence sur le pays dans son ensemble. Mais je n’oserais pas qualifier un Normand ou un Alsacien de minorité nationale de France. Encore une fois, mélanger les deux phénomènes de nation et d’ethnicité revient à faire l’hypothèse fausse qu’une nation doit être comprise comme une communauté ethniquement homogène au sein de son État. Une telle position crée un effet répulsif d’élitisme de la nation, lorsque n’importe quel signe d’appartenance ethnique fait tomber un membre de la communauté dans la catégorie des minorités non titulaires. Dans de tels cas, les critères d’exclusion les plus simplifiés peuvent être des différences de traits biologiques, d’accent linguistique, de pensée différente ou même de différences de comportement. En même temps, les partisans des États mono-ethniques eux-mêmes ignorent très souvent l’existence de différences ethniques au sein de la nation supposée titulaire.
Alors, que signifie appartenir à une nation ? Examinons les cinq caractéristiques qui constituent l’idée d’identité nationale et déterminons dans quelle mesure elles sont rationnellement justifiées. Miller commence par analyser l’affirmation selon laquelle les nations ne sont pas des agrégats de personnes distinguées par leurs caractéristiques physiques ou culturelles, mais des communautés dont l’existence dépend de la reconnaissance mutuelle (7). En d’autres termes, définir l’identité nationale par des attributs tels que la langue ou la race est une position fausse. L’exemple des Autrichiens et des Allemands montre que ces communautés peuvent partager des caractéristiques physiques et culturelles, mais qu’elles ne forment pas pour autant une seule nation, car elles ne se reconnaissent pas comme un tout unique. Il n’est pas si difficile de trouver des exemples de groupes de personnes qui se reconnaissent mutuellement comme une nation mais ne partagent pas une langue ou une origine raciale commune (Ghana, Inde, Belgique). Ainsi, lorsque je m’identifie comme appartenant à une certaine nation, je veux dire que ceux que je considère comme mes concitoyens partagent mes croyances. Le problème avec cet attribut est que je peux m’imaginer comme Chinois et être convaincu que d’autres Chinois me considéreront comme l’un des leurs, mais cette croyance ne correspondra pas à la réalité. Si l’on part du principe que les identités nationales se forment à travers les idées que les membres de la nation se font d’eux-mêmes, le terme « nation » lui-même prend un effet fluctuant, en fonction de l’humeur de celui qui est convaincu de son appartenance. Aujourd’hui, je crois à mon appartenance à la nation albanaise, demain j’y renoncerai, mais après-demain je redeviendrai Albanais. Avec une telle position, la « nation » perd sa signification objective et s’enfonce dans le domaine des croyances mythiques.
La deuxième caractéristique de l’identité nationale selon Miller est l’hérédité historique (8). Les nations remontent dans le passé, perdant leurs origines dans la nuit des temps. Au cours de l’histoire nationale, divers événements importants se sont produits avec les héros de cette époque, et nous pouvons identifier leurs actions comme les nôtres. Miller rappelle la citation de Renan selon laquelle les tragédies historiques sont plus importantes que la gloire historique (9). La tristesse a plus de valeur que la victoire, car elle impose des devoirs et nécessite des efforts communs. Autrement dit, une communauté nationale historique est une communauté de devoirs, car nos ancêtres ont travaillé et versé leur sang pour construire et défendre la nation. Ceux qui y sont nés héritent de l’obligation de poursuivre l’œuvre de leurs ancêtres, faisant ainsi avancer la nation vers l’avenir. Le fait est qu’une nation n’est pas un groupe de personnes qui pratiquent l’entraide entre elles, qui se désintégrera dès que ces pratiques cesseront. Au contraire, la nation s’étend d’une génération à l’autre et ne peut donc pas être abandonnée par la société contemporaine. En même temps, Miller note que cette période de l’histoire n’est rien d’autre qu’un élément de mythe, qui repose en grande partie sur les médias (10). Les nations sont liées par des croyances, mais ces croyances ne peuvent être transmises que par le biais d’artefacts culturels : livres, télévision, Internet. Dans ce contexte, les nations ne sont pas entièrement des communautés imaginaires, c’est-à-dire une fausse invention, mais leur existence dépend d’actes collectifs d’imagination qui s’expriment à travers ces médias (11). Si nous considérons la formation des identités nationales au XIXe siècle, nous pouvons voir que ce processus a nécessité la création d’une langue nationale. Par exemple, en Bohême, seuls les paysans parlaient tchèque, tandis que la noblesse et la classe moyenne communiquaient en allemand. L’émergence d’une nation tchèque distincte a nécessité la transformation du tchèque en langue littéraire. C’est-à-dire que le dialecte parlé a été transformé en langue imprimée par la compilation de grammaires, de dictionnaires et d’histoire de la langue. Et même l’existence de la poésie tchèque au Moyen Âge a été inventée, un mythe qui a joué un rôle important dans l’encouragement de l’illusion selon laquelle la langue et la nation tchèques avaient de profondes racines historiques (12). L’histoire nationale contient des éléments de mythe parce qu’elle interprète les événements d’une certaine manière et parce qu’elle renforce la signification de certains événements et diminue celle d’autres. Miller cite ici encore Renan, en notant que l’essence d’une nation est d’avoir beaucoup en commun et d’oublier beaucoup (13). Aucun Français ne reconnaîtrait comme ses ancêtres ceux qui ont commis des massacres lors des événements de la Commune de Paris. Ces événements ne sont pas niés, mais ils ne font pas partie de l’histoire que la nation se raconte. La raison de ce voilement est que la formation des unités nationales a été en grande partie le résultat de la contingence du pouvoir politique, qui a satisfait des ambitions territoriales. Faire de son histoire une fausse est un facteur important dans la formation d’une nation, car personne ne veut s’associer à la nature artificielle et forcée de la genèse nationale. En conséquence, les histoires fictives sur le passé des peuples qui ont habité un territoire sont désormais définies comme nationales.
La troisième caractéristique de l’identité nationale est que les nations, en tant que groupes, agissent. Elles font des choses ensemble, prennent des décisions, obtiennent des résultats, etc. (14). La nation devient ce à quoi elle aspire, même si ces aspirations peuvent conduire à la honte nationale. En ce sens, Miller exclut le rôle passif de la nation, de la même manière que l’Église interprète les suggestions de Dieu. Le problème ici est que cette exclusion impose des restrictions au membre du groupe. Appartenir à la nation polonaise signifie incarner activement la volonté nationale. Mais si cette volonté est seulement contemplée ou interprétée passivement, alors le participant perd le signe même de l’identité nationale. Autrement dit, un Polonais ayant une position nationale passive n’est pas un Polonais, car il ne participe pas à l’unification du passé et de l’avenir de la nation polonaise.
Le quatrième aspect de l’identité nationale, Miller l’appelle la situation géographique de la nation. La nation encourage une personne à occuper constamment la place qui la relie à tous les membres du groupe. En d’autres termes, la nation doit avoir un foyer, une patrie. C’est pourquoi la communauté nationale selon Miller doit être politique. Si les nations sont des groupes qui agissent, alors ces actions doivent viser à contrôler un morceau de terre, dans le sens d’obtenir ou de conserver le statut d’État. Cet élément territorial relie la nation à l’État, qui prend la forme d’un pouvoir légitime sur cette terre (15). Il y a un point important que je tiens a souligner. D’une part, Miller exclut de considérer la nation et l’État comme un seul concept. C’est-à-dire que nous acceptons l’existence de nations au sein d’un État multinational. D’autre part, l’identité nationale d’une nation se construit dans le désir d’obtenir le contrôle politique sur le territoire qu’elle occupe. En conséquence, une situation explosive de séparatisme international devrait surgir, dans laquelle la sortie de toute nation de l’État sera toujours justifiée éthiquement. Il ne s’agit pas seulement de nations historiquement connues qui cherchent à se faire indépendantes, comme le Québec, la Catalogne, l’Écosse, mais aussi d’une multitude de pays multinationaux, dont la Chine, l’Inde, la Russie, la Belgique.
Le cinquième élément final de l’identité nationale suppose que les gens d’une même nation ont quelque chose en commun. Il s’agit d’un ensemble de caractéristiques que Miller décrit comme le caractère national, ou une culture sociale partagée (16). Si nous pensons à une nation, il doit y avoir un certain sentiment que les gens appartiennent ensemble en raison de caractéristiques communes. Cela peut inclure des principes politiques, comme la croyance en la démocratie ou l’État de droit. Cela inclut également les normes sociales, comme remplir une déclaration d’impôt honnête, céder sa place dans le bus à une personne handicapée, etc. L’identité nationale peut également englober certains idéaux culturels, comme les croyances religieuses ou l’engagement à préserver la pureté de la langue nationale. Il s’ensuit que l’identité nationale ne peut pas être fondée sur une origine biologique commune, une vision qui nous mène directement au racisme. Une culture publique commune est compatible avec l’appartenance de la communauté à divers groupes ethniques. Même si chaque nation doit avoir un foyer, cela ne signifie pas que chaque membre doit y naître. L’immigration ne doit pas créer de problèmes à condition que les immigrants partagent une identité nationale commune, apportant leurs propres ingrédients distinctifs. Miller cite l’exemple des Américains et des Australiens, dont les ancêtres sont arrivés dans le Nouveau Monde sans rien mais ont réussi dans la nouvelle société. Enfin, une culture publique commune ne doit pas être monolithique et englobante. Elle renvoie à un ensemble de conceptions de la manière dont les gens vivent ensemble, et non à un ensemble de caractéristiques que tout le monde doit avoir de manière égale. Au lieu de croire qu’il existe un ensemble de conditions nécessaires et suffisantes pour appartenir à une nation, nous devrions penser à des caractéristiques suffisamment distinctives qui constituent un tout unique. Miller souligne que le caractère national doit laisser la place à l’épanouissement de cultures privées au sein d’une nation. Autrement dit, la nourriture que nous mangeons, la façon dont nous nous habillons, les choses que nous écoutons ne font pas partie de la culture publique qui définit la nationalité, car elles relèvent d’un choix privé. En tenant compte de ces dispositions du caractère national, ses caractéristiques problématiques sont décrites. Miller essaie d’englober tout et rien à la fois. En affirmant que l’identité nationale se forme à partir des traits distinctifs de chaque participant, qui s’entrecroisent dans un réseau solide de culture commune, on n’arrivera pas de distinguer une nation d’une autre. Imaginons une situation hypothétique dans laquelle les Brésiliens et les Irlandais s’unissent dans un État dans le contexte de la propagation d’un mythe commun. Chacun des membres de la nouvelle communauté auront quelque chose en commun avec l’autre : ils paient des impôts, votent aux élections, soutiennent la même équipe. Bien que les Irlandais et les Brésiliens soient des peuples ethniquement différents, parlant des langues différentes, ayant des mentalités et des coutumes différentes, ils constitueront une seule nation. Le caractère national de Miller devient excessivement général pour n’importe quelle nation du monde.
Nous avons donc cinq caractéristiques de l’identité nationale, et aucune d’entre elles ne répond au critère de la justification rationnelle. Un examen plus approfondi révèle qu’une nation au sens le plus large est composée de personnes qui diffèrent à la fois par leur mentalité et par leurs coutumes et pratiques. Miller admet que si les canons de la rationalité sont appliqués aux caractéristiques de l’identité nationale, ils se révèlent frauduleux (17). Ce qui est censé être les caractéristiques originales d’une nation peut se révéler être des inventions artificielles au service d’objectifs politiques. Mais Miller essaie de trouver une justification à la loyauté nationale dans la pensée éthique et politique. Il construit un argument selon lequel le mythe de la nation remplit une fonction utile dans la construction et le maintien d’une communauté nationale. Premièrement, le mythe détermine que la nation a une extension dans l’histoire qui incarne une réelle continuité entre les générations. Deuxièmement, le mythe joue un rôle moralisateur, nous montrant les vertus de nos ancêtres et nous encourageant à vivre à leur hauteur. En acceptant l’idée que les nations sont des communautés éthiques, nous pouvons accepter le mythe de la nation, car il accroît le sens de la solidarité et du devoir des individus envers leurs concitoyens. Miller utilise une métaphore pour renforcer le sens du mythe de la nation (18). Imaginez que la nation est comme un canot de sauvetage dans lequel des personnes sont tombées accidentellement. Les passagers du canot de sauvetage doivent établir des relations les uns avec les autres, c’est-à-dire se comporter avec dignité, travailler ensemble pour maintenir leurs activités à flot, etc. De la même manière, les personnes vivant sous le même toit d’institutions sont obligées de se respecter et de coopérer les unes avec les autres, et il n’est pas évident qu’elles le fassent à moins qu’elles ne se considèrent comme les porteurs d’une histoire commune. C’est le mythe de la nation qui fait appel à leur identité historique, au sacrifice fait dans le passé par une partie de la communauté pour le bien des autres. Le mythe permet à la nation de capitaliser sur les ressources du groupe au moment où elle en a le plus besoin. Par conséquent, les membres d’une communauté nationale sont soumis à des obligations inconditionnelles du fait qu’ils sont nés et ont grandi dans cette communauté. Miller parle de la fluidité des identités nationales en termes de choix personnels concernant la compatibilité ou l’incompatibilité avec les valeurs de la nation. La nationalité ne se choisit pas. Elle s’acquiert de manière irréfléchie, encore une fois, à travers l’historicité du mythe national. Mais pour une personne qui hérite d’une identité nationale, il y a une marge considérable de réflexion critique. Si quelqu’un est né juif et n’a pas d’autre choix que de devenir le porteur d’une certaine forme d’identité juive, il peut décider de l’importance qu’il donnera à sa judéité. Soit il fera de la nationalité l’élément central de son identité ou seulement un aspect secondaire. De plus, Miller souligne que, malgré ce que prétendent les doctrines nationalistes, les identités nationales ne sont en pratique pas exclusives aux porteurs (19). Par exemple, pour les Américains juifs, l’identité nationale est liée à la fois à Israël et à l’Amérique. Ils maintiennent donc une double loyauté, même si les immigrants américains prêtent un serment d’allégeance aux États-Unis, ce qui les oblige à renoncer à toute allégeance à tout État étranger. La nation mythique de Miller est toutefois compliquée par le fait que la continuité de l’identité nationale n’a aucun sens pour les nations au sein d’un seul État, car ces nations sont toutes dans le même « canot de sauvetage ». Autrement dit, pour elles, il existe une seule et même période historique entre le passé et le futur, et donc une seule identité nationale. Dire que les Sardes devraient avoir un mythe national distinct pour renforcer la solidarité entre les membres de leur communauté revient à déclarer l’inefficacité du mythe national italien à remplir sa fonction éthique et politique. Si Miller attribue le sens du mythe uniquement aux États constitués d’une seule nation, il réduit alors le concept de nation à l’État. C’est précisément ce qu’il a essayé d’éviter au début de son travail.
Dans ce cas, je propose de recréer l’idée d’identité nationale sur un autre plan et d’examiner s’il est possible de la justifier. Afin de sortir de l’orbite du concept de nationalité de Miller, nous allons opérer un subtil déplacement de sa signification. Ne partons pas de la question « Qui suis-je ? », mais de « Que sais-je ? », en tant que membre d’une communauté nationale. Nous parlons d’un certain ensemble de connaissances et d’expériences pratiques liées aux coutumes, aux pratiques, aux moyens de communication, aux symboles et même aux ententes implicites avec un voisin ou un citoyen ordinaire. Appelons cette combinaison le « code de la nation ». L’identité nationale se construit sur le fait que tous les membres de la communauté connaissent ce code, et peu importe qu’ils l’appliquent ou non dans la pratique à un moment donné. On peut alors dire qu’une nation existe parce que les membres de la communauté sont capables de ressentir et de reconnaître les notes du caractère national. Une telle caractérisation de l’identité est dans une certaine mesure proche de toute identité qui se forme par l’acquisition de connaissances et de pratiques. Devenir poète signifie être capable d’écrire des vers, des poèmes ou d’autres œuvres poétiques. Pour écrire des poèmes, il faut avoir un ensemble de connaissances et de compétences. Examinons-les de plus près. Tout d’abord, il faut connaître le rythme du poème. Il s’agit de deux syllabes (chorée et iambique) et de trois syllabes (dactyle, amphibraque et anapeste). Deuxièmement, il est important de savoir utiliser divers moyens artistiques, tels que la métaphore, la métonymie, l’hyperbole, l’allégorie, la comparaison. Troisièmement, il sera très difficile d’écrire sans lire des poèmes d’autres poètes. Par conséquent, vous devez lire beaucoup de classiques et d’œuvres d’auteurs modernes pour connaître les différents styles et formes de poèmes. La lecture en général augmentera la littératie générale de l’utilisation de la langue dans laquelle le poème sera écrit et élargira votre vocabulaire. Quatrièmement, sans sentiment, les poèmes ne pourront attirer l’attention de personne. Vous devez écrire ce que vous ressentez sur le moment, alors les poèmes deviendront plus précis, les mots – plus brillants. Cinquièmement, vous avez également besoin de la capacité d’imagination, de pensée figurative et associative pour créer des images inattendues et accrocheuses. Comme nous pouvons le voir, la formation d’un poète passe par l’étude des règles et des actions qui donnent de la valeur aux œuvres poétiques. De même, la nationalité est acquise par une personne par l’initiation et l’entrée dans un jeu de langue locale selon le type de concept wittgensteinien (20). L’idée principale est que le langage est utilisé dans un contexte et ne peut être compris en dehors de ce contexte. Wittgenstein donne l’exemple de « De l’eau ! », qui peut être utilisé comme une exclamation, un ordre, une demande ou une réponse à une question. Le sens d’un mot dépend du jeu de langage dans lequel il est utilisé. Au niveau d’une nation, un jeu de langage désigne toute action qui n’acquiert de sens que si nous la faisons dans un contexte partagé par d’autres membres du groupe. Un membre d’une communauté nationale doit étudier le sens des actions de ses concitoyens en appliquant dans la pratique les règles communes du jeu. Autrement dit, pour devenir Québécois, il faut s’immerger dans le mode de vie québécois afin d’avoir la possibilité de créer selon ses règles, de créer avec le code québécois. Bien sûr, cela prend du temps et de l’inspiration, mais dans la plupart des cas, le code de la nation s’apprend sans même réfléchir dès la naissance d’un enfant, tout comme on apprend à parler ou à marcher. S’il s’agit d’un immigrant québécois, il a aussi toutes les chances de devenir Québécois par ses études, son travail, sa famille, ses amis, etc., dans le même environnement où évoluent les autres Québécois. Lorsqu’il sera capable de naviguer dans le jeu de langage québécois et d’agir selon les règles de ce jeu, il acquerra une identité québécoise. C’est seulement de cette façon que l’identité nationale devient non pas une entité mythique, fluctuante à partir de l’idée que les membres de la nation se font d’eux-mêmes, mais une chose existante avec ses propres critères de définition. Alors, quand nous disons d’un groupe de personnes qu’elles constituent une nation, nous ne parlons pas de leur estime de soi, de leurs caractéristiques physiques ou de leur comportement, nous parlons de l’ensemble des connaissances et des compétences qu’elles partagent et qui constituent le code de la nation. Les groupes qui se forment en tant que nations n’ont pas de ségrégation géographique particulière. Il peut s’agir d’un village, d’une ville, d’une région ou d’une combinaison de chacun de ces éléments. En même temps, plusieurs nations peuvent coexister côte à côte, se croisant les unes avec les autres comme des jeux de langage.
Nous allons poursuivre l’étude de l’identité nationale et essayer de découvrir où se situe la frontière de la nation. Si nous construisons une nation sur la base du concept de jeu de langage de Wittgenstein, essayons alors d’en séparer la base théorique du concept de frontière. Pour Wittgenstein, en général, fixer la frontière d’un jeu n’a aucun sens au sens classique du terme (21). Il donne l’exemple du concept de « nombre », en soulignant que nous pouvons lui donner des limites strictes, c’est-à-dire utiliser le mot « nombre » pour un cas très limité. Mais nous pouvons aussi utiliser le concept de « nombre » de telle manière que la diffusion de son concept n’ait pas de limites. C’est ainsi que nous utilisons le jeu. Nous pouvons définir les limites d’un jeu uniquement dans un but particulier, mais cela ne rend pas le concept plus utilisable. Wittgenstein pose alors la question de savoir comment expliquer à quelqu’un ce qu’est un « jeu ». Si le concept de « jeu » n’a pas de limites, alors qu’entendons-nous en fait par « jeu » ? Si nous comparons le concept de jeu à celui de région et disons qu’une région sans frontières claires ne peut pas être appelée région du tout, cela signifie probablement que ce concept n’a aucun sens. Mais Wittgenstein donne l’exemple de lui qui se tient debout avec quelqu’un sur une place de ville et dit : « Restez ici ! » Il ne se donne pas la peine de tracer des limites, mais fait simplement un geste du doigt, comme s’il désignait un certain endroit. Et c’est ainsi que nous pouvons expliquer ce qu’est un jeu. Nous donnons des exemples et nous voulons qu’ils soient perçus d’une certaine manière. Si nous demandons où se trouve la frontière de la nation basque, nous obtiendrons une réponse similaire. Nous ne pouvons pas simplement déterminer où la nation compte encore et où elle ne compte plus. Mais nous pouvons commencer à jouer le code basque et nous attendre à une réaction réciproque à notre jeu. Si la réponse à notre message n’a pas de sens, alors nous excluons cette réponse du champ d’application du code de la nation et traçons ainsi sa frontière. Autrement dit, la nation, en tant que concept, n’a pas de frontières, à moins que nous ne commencions à exclure de la distribution des combinaisons dénuées de sens, en jouant selon les règles du jeu de langage. Et pourtant, le retrait des combinaisons de la sphère du jeu fait aussi partie du jeu. Lorsque nous traçons la frontière d’une nation, cela ne signifie pas encore pourquoi nous la dessinons. Il peut s’agir pour les joueurs de la franchir, ou cela peut montrer où se termine la propriété d’une personne et où commence celle d’une autre. Il s’ensuit que la qualité interne d’une nation est qu’elle se chevauche et se croise avec d’autres nations, créant un réseau de jeux de langage. C’est ainsi que les activités du poète et de l’écrivain se croisent selon des règles similaires. Le poète crée des œuvres de genres poétiques, tels que des vers, des poèmes, des drames en vers, tandis que l’écrivain se concentre sur la prose. Mais tous deux utilisent des compétences et des pratiques similaires pour écrire leurs œuvres : la lecture des œuvres d’autres auteurs, la capacité d’imagination, la pensée figurative et associative, l’utilisation de divers moyens artistiques, etc. Dans ce domaine d’intersection et de chevauchement des similitudes des jeux de langage des nations, la frontière d’un État, d’une région ou même d’une ville n’a aucun sens. À Montréal, on sent clairement ce réseau de nations représentées par les Français, les Italiens, les Irlandais, les Anglais, les Haïtiens, les Écossais, les Chinois, les peuples autochtones du Canada, les Québécois, etc. Chacun de ces groupes nationaux peut s’orienter dans deux ou plusieurs jeux de langage. En même temps, tout jeu de langage établi sur le territoire du Canada est considéré par l’État comme canadien. Autrement dit, la nationalité canadienne ne représente pas en réalité un jeu de langage distinct, mais plutôt un agrégat de nations qui se croisent au Canada. Cela s’applique également aux États dits « État-nation ». Un habitant de Maastricht, dans la province néerlandaise du Limbourg, joue selon les règles d’un code qui ressemble davantage à celui des Flamands en Belgique. En même temps, cette nationalité flamande de l’habitant de Maastricht se combine en une nationalité néerlandaise, qui rassemble toutes les nationalités à l’intérieur des frontières des Pays-Bas. Dans un coin mono-ethnique de l’Ukraine, deux villes – la capitale Kiev et Malyn, qui se trouvent à 100 kilomètres de la capitale – ont des communautés d’identités nationales différentes, car chacune d’elles diffère considérablement dans les règles du jeu concernant l’utilisation du code d’une nation ukrainienne particulière. Les exemples de ce genre sont nombreux. Il s’avère que le concept même d’État-nation n’a pas de sens, car à l’intérieur des frontières de tout État, nous aurons une intersection de jeux de langage qui dépasseront les frontières du territoire de l’État. Si dans les régions centrales de la Slovénie, nous devrions nous attendre à un code homogène de la nation, dans les coins reculés du pays aux frontières avec les États voisins, l’utilisation d’autres jeux de langage auront lieu, formant ainsi d’autres nations slovènes. Il semblerait que des nations naines comme Monaco ou le Vatican devraient constituer des États-nations, mais elles ne seront pas exceptionnelles. Le jeu de langage de ces États sera similaire à celui des nations françaises ou italiennes. Autrement dit, dans ce cas, ce n’est pas l’État qui unit les nations, mais la nation qui unit les États. Et même la République de Nauru ne fera pas exception. Cet État nain situé sur l’île corallienne du même nom dans l’océan Pacifique occidental est situé loin des autres États, mais était habité par les peuples autochtones de Micronésie et de Polynésie. Par conséquent, le code de nation de Nauru est très probablement similaire à celui de l’une des nations insulaires voisines, telles que Kiribati ou Tuvalu. Ainsi, si nous devions cartographier conceptuellement les nations sur une carte du monde, elles ressembleraient à ceci dans l’usage moderne.
En règle générale, la nation est identifiée au concept d’État. Dans certains cas, le concept de nation titulaire est utilisé pour séparer toute diversité nationale selon des critères ethniques en un petit groupe distinct les uns à côté des autres. Dans le schéma suivant, nous avons une carte des nations selon la diversité du code, où nous verrons une intersection complexe de nations dans un réseau de jeux de langage et qui ne dépend pas de la frontière de l’État, de la culture, de la langue ou de l’origine biologique des personnes.
Autrement dit, selon ce schéma, l’usage moderne du concept de nation perd son sens, car il ne reflète pas l’essence des identités nationales des pays. La nationalité d’un pays devient un agrégat d’identités nationales de communautés au sein d’un État ou fait partie d’une nationalité interétatique. Si, par exemple, nous parlons de la nationalité française, nous entendons avant tout l’unification de toutes les identités des nations françaises en un seul concept formel. Cela inclut les jeux de langage des Parisiens, des Marseillais, des Lyonnais, des Guadeloupéens, des Alsaciens, des Basques, des Corses, des Normands, des Bretons, des Catalans, des Gascons, des Vendéens, des Algériens, des Béninois, des Sénégalais et bien d’autres. Et chacun de ces Français possède au moins les règles de deux ou trois codes des nations. Cependant, un tel ensemble d’identités nationales n’aura pas de particularités exceptionnelles qui feraient que certaines nations et pas d’autres relèvent de cette nationalité française. Il s’ensuit que la nationalité française est un concept purement technique créé par l’État sur une base territoriale. Et cela s’applique à toute nationalité assimilée à l’État.
Miller affirme ensuite que les nations sont des communautés éthiques (22). Reconnaissant l’identité nationale, Miller soutient que nous devrions avoir des responsabilités particulières envers nos concitoyens. Ces responsabilités sont les mêmes que celles que nous avons envers notre famille, notre école, notre communauté locale. Autrement dit, si j’appartiens à une certaine communauté, je ressens un sentiment de loyauté envers ce groupe, et cela s’exprime par le fait que je prête une attention particulière aux intérêts des membres du groupe. Miller donne l’exemple de deux étudiants qui viennent lui demander conseil. Son temps est limité et il donne donc la préférence à l’étudiant qui appartient à son université. Pour Miller, ces responsabilités sont réciproques, dans le sens où il attend des autres membres qu’ils accordent une importance particulière à ses intérêts, tout comme il accorde une importance particulière aux leurs. Cependant, les obligations éthiques de la nationalité diffèrent de celles des autres communautés sur deux points principaux. La puissance de la nationalité en tant que source d’identité personnelle signifie que ses obligations sont ressenties très fortement et peuvent s’étendre très loin – les gens sont prêts à se sacrifier pour leur pays d’une manière dont ils ne sont pas prêts à se sacrifier pour d’autres groupes et associations. Mais ces obligations sont en même temps incertaines, parce qu’elles sont le sujet du courant politique dominant ou qu’elles découlent de la culture publique. En d’autres termes, la culture publique établit une idée du caractère de la nation, fixant ses obligations. Et celles-ci, à leur tour, sont le produit de débats politiques et de coloration idéologique. Par exemple, certaines cultures nationales peuvent attacher de l’importance à l’autosuffisance individuelle. D’autres mettront davantage l’accent sur les biens collectifs et croiront que les compatriotes ont l’obligation de participer à diverses formes de service national. Ici encore, Miller part du principe que les frontières de la nation coïncident avec celles de l’État. Oui, les citoyens de tout État ont des droits et des obligations qui découlent simplement de leur participation à des pratiques dont ils bénéficient, en raison du principe de réciprocité. En tant que citoyens, ils bénéficient de droits à la protection personnelle, aux soins médicaux, à l’éducation scolaire gratuite, etc., et en échange, ils sont obligés d’obéir à la loi, de payer des impôts et de soutenir en général un système de coopération. Cependant, ces droits et obligations n’ont aucun contenu éthique, car ils font partie des jeux de langage des nations. Si un Bulgare participe au jeu de langage d’une des nations bulgares, il doit en pratique suivre les règles d’utilisation de ce jeu. Cela peut impliquer son obligation de payer des impôts locaux, de céder sa place dans le bus à une personne âgée, de nouer une martenitsa (un fil de laine blanc et rouge torsadé) à son bras à l’occasion de la fête de Baba Marta, etc. Mais s’il se retire de la participation au jeu de langage de la nation, il s’écartera des règles d’utilisation qui établissent ses droits et obligations en tant que participant. En même temps, il restera porteur de l’identité nationale, car il conservera les connaissances et les compétences de participation au jeu de langage de sa communauté. De même, un poète qui écrit un poème suit certaines règles qui lui imposent des obligations concernant la formation de la rime, en tenant compte de la métrique et de la structure. A-t-il une obligation éthique de suivre les règles d’écriture d’un poème ? Non, il n’en a pas. La mesure dans laquelle il suit les règles ne parle que du degré de sa participation au jeu de langage des poètes. Enfin, la remarque de Miller selon laquelle l’éthique d’une nation est formée par la culture sociale et les processus politiques ne fait que montrer à quel point cette éthique est conditionnelle et changeante. Toute personne peut interpréter différemment son appartenance à une nation et en tirer certaines conclusions sur ses devoirs envers ses compatriotes. En outre, la culture sociale et les devoirs de nationalité qui en découlent peuvent changer au fil du temps, à mesure que les institutions politiques, le niveau général d’éducation, etc. se développent. Autrement dit, l’éthique de la nation de Miller s’avère être une invention artificielle, fondée non pas sur la tradition, mais sur les processus sociaux d’interaction. Il s’agit avant tout d’un outil de régulation des relations entre les membres pour assurer la stabilité du système étatique. C’est pourquoi Miller souligne qu’il existe de bonnes raisons éthiques pour que les frontières de la nationalité et les frontières de l’État coïncident (23). Dans ce cas, si quelqu’un se demande pourquoi il paie des impôts, il trouvera deux réponses pour lui-même. La première concerne son devoir en tant que membre de la nation de soutenir les projets sociaux et de répondre aux besoins des autres compatriotes. La deuxième réponse mettra l’accent sur son devoir en tant que citoyen de soutenir les institutions dont il attend, en retour, des avantages. L’ensemble de ces réponses produit un fort effet stimulant de contribution, qui serait difficile à obtenir uniquement sur la base de la réciprocité entre les membres. Donc, Miller utilise le concept d’éthique nationale pour assurer une gouvernance plus efficace de l’État. En même temps, si le renforcement de l’État dépend du degré de coïncidence des frontières de la nation avec celles de l’État, alors les États multinationaux s’avèrent vulnérables et inefficaces par nature. Dans le cas où un État est présenté comme un territoire d’intersection des jeux de langage des nations, nous devons redessiner le monde entier avec de nouvelles formations afin de parvenir à la coïncidence des frontières de la nation et de l’État et d’assurer la stabilité de la coopération étatique.
Considérons plus en détail l’autre affirmation de Miller selon laquelle les communautés nationales ont le droit à l’autodétermination politique (24). Il admet que dans certains cas, les nations sont si mélangées géographiquement avec d’autres groupes que cette aspiration peut être vaine. Cependant, Miller donne un certain nombre de raisons pour lesquelles il est important que les frontières des unités politiques coïncident avec les frontières nationales. Tout d’abord, il suggère qu’une nation dont les frontières ne coïncident pas avec ses frontières politiques aura beaucoup de mal à parvenir à un régime de justice générale. Il donne l’exemple des Slovènes économiquement prospères pendant la fédération yougoslave qui n’étaient pas très satisfaits de la répartition des ressources et des subventions aux investissements en Serbie ou au Monténégro (25). La justice générale pour la Slovénie n’a pas été respectée parce que la nation slovène avait droit aux ressources créées par ses membres mais estimait qu’elle perdait davantage par rapport aux autres communautés. Si Miller prend en compte le PIB par habitant pour déterminer la répartition équitable des ressources d’une nation, alors l’autodétermination nationale n’est pas toujours justifiée économiquement. Certes, les Catalans, qui rattrapent presque les Madrilènes en termes de PIB par habitant, pourraient se sentir plus justes s’ils quittaient l’Espagne. Mais on ne peut pas en dire autant des Québécois. En termes de rapport entre le produit intérieur brut de la province et sa population annuelle moyenne, le Québec n’est pas en tête de liste par rapport aux autres provinces (26). Il s’avère que les nations les moins productives d’un État multinational n’ont aucun intérêt à rechercher l’autodétermination politique, car leur réalisation de la justice générale est mise en doute. De plus, nous ne pouvons même pas être sûrs que la Catalogne resterait aussi productive économiquement après avoir obtenu son hypothétique indépendance de l’Espagne. Il est impossible de calculer tous les facteurs de la chaîne de cause à effet qui imprègne l’économie catalane dans le système de relations économiques avec les autres régions d’Espagne et les pays du monde. Par conséquent, si Miller lie le désir d’une définition politique de la nation à la réalisation du sommet de la justice sociale et économique entre ses membres, le résultat d’un tel désir peut être vain et conduire au contraire.
Miller donne une autre signification de l’autodétermination nationale à la protection de la culture nationale (27). En d’autres termes, la culture nationale a besoin d’être protégée par l’État. Il ne s’agit pas de dire que la culture publique ne peut exister sans régulation étatique, mais qu’il serait imprudent de la confier à des particuliers. Miller donne l’exemple du propriétaire d’une chaîne de télévision qui souhaite sincèrement produire des drames et des documentaires d’investigation de qualité, mais qui, sur un marché concurrentiel, doit acheter des feuilletons télévisés moins cher pour survivre. Ainsi, la seule façon d’empêcher le déclin de la culture nationale est d’utiliser le pouvoir de l’État pour protéger les aspects considérés comme importants. Et c’est là que se pose la question : où est la garantie que l’État, dont les frontières coïncident désormais avec la nation, créera de meilleures conditions pour l’existence de la culture nationale ? Imaginons qu’un État multinational se scinde en petits États-nations. Chacun d’eux a désormais le contrôle total de sa culture publique, mais doit désormais résister à une influence encore plus grande des États voisins. Il est bon que l’État nouvellement créé soit financièrement autonome, mais dans le monde moderne des relations économiques internationales, même une communauté étatique riche doit adapter sa culture nationale aux défis des facteurs extérieurs. Il n’est pas toujours vrai qu’un État mononational se préoccupe de préserver et de diffuser sa culture nationale au détriment des intérêts économiques. Par exemple, les Pays-Bas, qui sont historiquement un État commerçant riche, ont développé une couche nationale distincte d’expatriés travaillant de manière permanente dans des entreprises locales (28). Ce sont des gens qui sont bien intégrés dans le système de vie et de coopération néerlandais, bien que ne parlant pas du tout le néerlandais ou l’utilisant de manière très basique. Il ne s’agit même pas d’un autre moyen de communication, mais d’un autre code de la nation. Les expatriés néerlandais ont créé leur propre culture nationale, qui existe parallèlement à la culture néerlandaise d’origine, et que les Pays-Bas reconnaissent également comme néerlandaise, en accordant à ses locuteurs la citoyenneté néerlandaise. Mais le pire résultat de la protection de la culture publique peut être attendu d’un État mononational qui se retrouvera dans une situation financière très précaire et dépendra de subventions internationales extérieures. On peut citer l’exemple de Nauru, déjà évoqué plus haut, dont l’économie repose historiquement sur l’extraction de la nauruite (29). Lorsque les réserves primaires de phosphate ont été épuisées à la fin des années 2010, Nauru a cherché à diversifier ses sources de revenus. En 2020, les principaux revenus de Nauru provenaient de la vente des droits de pêche dans les eaux territoriales et du centre de détention des immigrés australiens. C’est-à-dire que le pays dépend fortement de l’aide étrangère d’autres pays, en particulier de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande. Bien que les frontières de l’État de Nauru coïncident avec celles de la nation, le pays a peu de chances de préserver et de diffuser son code de nation, à moins, bien sûr, qu’il n’existe et n’ait déjà fusionné avec celui de l’un des États insulaires voisins de Micronésie et de Polynésie. Miller insiste sur un État homogène, rappelant des cas où dans un État multinational le groupe dominant avait une forte incitation à utiliser le pouvoir de l’État pour imposer sa propre culture à des groupes plus faibles (30). Il cite des exemples historiques de tentatives d’assimilation forcée de minorités nationales à la culture de la majorité, allant de la magyarisation forcée des minorités ethniques dans la Hongrie du XIXe siècle à la politique constante de l’État turc visant à détruire l’identité culturelle de sa minorité kurde. Pour commencer, les nations titulaires ont tendance à s’attribuer un degré d’homogénéité culturelle plus élevé que celui dont font preuve leurs membres en réalité. Cela signifie que toute nation majoritaire est en réalité constituée de plusieurs identités culturelles, qui sont très difficiles à imposer à une autre nation, car elles ne représentent pas un code complet à remplacer. L’assimilation d’une minorité nationale par l’apprentissage forcé de la langue de la nation dite titulaire ne changera en rien la capacité de la minorité à créer selon le code de sa communauté. Et comment peut-on remplacer un code de nation par un autre ? Une communauté peut acquérir les connaissances et les compétences d’un autre code, mais elle ne peut en aucun cas refuser d’utiliser le code qu’elle connaît le mieux, et dans le meilleur des cas, elle utilisera les deux. De même, un poète qui sait le mieux écrire de la poésie ne perdra pas son talent simplement parce qu’il apprend à écrire de la prose. Autrement dit, l’acquisition d’autres codes de nations est inhérente à l’identité nationale, tout comme l’acquisition de connaissances et de compétences est inhérente à toute personne. Ce n’est que par l’expulsion forcée ou la destruction physique d’une communauté que l’on peut remplacer un code national par un autre sur un territoire donné. Dans une certaine mesure, la position de Miller sur le désir de transformer chaque État en un État-nation est compréhensible, car l’histoire a connu de nombreux cas tragiques de réinstallation de populations liées à des États multinationaux. Par exemple, les villes slovènes de Maribor, Ptuj et Celje avaient une majorité germanophone, et la ville ukrainienne de Lviv avait une majorité polonaise avant l’effondrement de l’Empire austro-hongrois (31). Mais là encore, selon la théorie des jeux de langage des communautés nationales, le reformatage des nations ne peut se produire que dans un État multinational et conduire finalement à la formation d’un nouvel État multinational, car les États-nations sous une forme pure et permanente n’existent pas. Même si nous supposons que la Palestine peut incarner l’image d’un État mononational (bien qu’une partie importante de la communauté réside dans de nombreux autres pays), son autodétermination politique ne renforce en rien l’argument de Miller selon lequel les meilleures conditions pour préserver la culture commune d’une nation ne peuvent être créées que si elle coïncide avec les frontières de l’État. Imaginons que le conflit israélo-palestinien soit résolu dans la paix et la prospérité pour les deux États. On peut alors supposer que la Palestine reviendra sur sa terre natale avec ses membres errants de par le monde, augmentant ainsi la diversité des codes de nations palestiniens, comme l’a fait Israël à l’époque. Autrement dit, la Palestine est en train de se créer à partir des entrailles d’États multinationaux et, en fin de compte, son autodétermination nationale ne peut conduire qu’à la création d’un État palestinien multinational. Ainsi, selon Miller, il existe de solides raisons empiriques de croire que les cultures nationales seront mieux protégées lorsqu’elles seront nourries par leurs propres États, et en même temps, ces raisons empiriques peuvent être contrastées avec d’autres dans lesquelles l’autodétermination politique d’une nation conduit à la formation de divers jeux de langage qui vont à l’encontre du jeu principal. Que la culture commune originelle profite ou décline du voisinage avec la nouvelle culture créée dépend de nombreux facteurs difficiles à prévoir, tels que le système politique, le développement économique, la situation géographique des frontières, les relations avec d’autres pays, etc. Mais dans un cas ou dans l’autre, le raisonnement de Miller sur l’harmonie du gouvernement de l’État au sein de la nation perd son sens, car il ne correspond pas à la nature du développement d’une nation dans son voisinage avec d’autres.
Autrement dit, selon Miller, un État démocratique peut garantir que l’autodétermination nationale est vraiment nationale, car dans un tel État, les gens ont un plus grand sentiment de contrôle sur leur destin. Mais même en supposant que nous cherchions à construire quelque chose avec quelqu’un avec qui nous avons quelque chose en commun, pourquoi devrions-nous nécessairement le faire dans une formation politique ? La volonté d’autonomie collective se réalise au mieux dans un environnement dans lequel les décisions sont prises par le plus petit nombre possible d’acteurs sans intermédiaires. En d’autres termes, plus le caractère local de la prise de décision au niveau de l’ordonnance et de l’exécution est important, plus il est probable que ce qui a été ordonné sera exécuté avec un contrôle total de l’ensemble du processus. Il vaut mieux être dans un groupe de deux décideurs que de deux cents, alors la volonté sera claire et certaine. De la même manière, il vaut mieux avoir deux exécutants que deux cents, afin que la volonté soit exécutée clairement et sans malentendu. A cet égard, la prise de décision dans la dimension politique ne peut en aucun cas être la meilleure expression de la volonté de la nation. La formation d’un État implique tellement de facteurs inconnus sur lesquels les acteurs n’ont aucune influence qu’une nation dans de telles conditions a plus de chances de jouer à la roulette que d’exécuter résolument la volonté commune. Et peu importe la forme que prend la formation d’un État. Si dans un État autoritaire il n’y a pas d’illusion selon laquelle la volonté de la nation est entre les mains de quelques individus, dans un État démocratique se crée l’illusion, selon laquelle la nation a une volonté et qu’elle influence quelque chose dans le désir collectif d’avancer dans la direction souhaitée. Cela ne veut pas dire que la nation doit choisir une forme de gouvernement anarchique, comme le mentionne Miller à propos de l’anarchiste allemand Gustav Landauer (33). Cela signifie plutôt que la volonté de la nation est une idée aussi illusoire que la volonté des poètes. De quelle manière s’exprime-t-elle sinon dans les différentes interprétations des membres individuels de la communauté nationale ? De plus, ces interprétations peuvent être complètement opposées. La nation n’a aucune obligation d’accomplir sa volonté, car il est impossible de déterminer le mouvement commun de quelque chose qui va dans des directions différentes. Ainsi, en disant que l’objectif de l’autodétermination politique est intégré dans l’idée même de la nation, nous éloignons le terme de nationalité des aspects qui en découlent rationnellement.
Miller tente de renforcer le concept d’État mononational en changeant la direction de l’argument. Il suggère de se demander pourquoi les États ou le pouvoir politique des États sont susceptibles de fonctionner plus efficacement lorsqu’ils ne regroupent qu’une seule communauté nationale (34). En effet, une grande partie du travail de l’État consiste à atteindre des objectifs qui ne peuvent être atteints sans la coopération volontaire de ses citoyens. Pour que ce travail soit couronné de succès, les citoyens doivent faire confiance à l’État et ils doivent se faire mutuellement confiance pour faire ce que l’État attend d’eux. Une identité partagée implique une loyauté partagée, ce qui augmente la confiance dans le fait que les autres seront tenus à une obligation réciproque de coopérer. Cette affirmation clé sous-tend l’argument de Miller selon lequel l’homogénéité culturelle génère la solidarité entre les membres d’une nation. Mais il n’est pas difficile de contredire que la solidarité peut également naître entre des individus ayant des identités nationales très différentes. En général, la nationalité ne peut avoir aucune influence sur le fait de savoir si nous faisons confiance ou non à une personne. On peut supposer que la nationalité forme la même opinion les uns des autres chez des personnes ayant une identité nationale commune. Mais quelles qualités morales pouvons-nous attendre de quelqu’un que nous considérons comme un camarade national ? Elles peuvent être à la fois positives et négatives pour nous, ce qui dépend plus d’aspects de la personnalité complètement différents que des aspects nationaux. Un poète peut être à la fois l’ennemi et l’ami d’un poète, car le jeu de langage ne programme pas l’attitude du participant à l’égard de l’environnement. De même, le code d’une nation ne donne un sens qu’à l’activité de chacun des participants au jeu, sans générer de jugement de compatriote sur un jeu de langage particulier. L’appartenance à une nation ne crée ni sympathie ni antipathie envers une autre nation. Si nous construisons l’identité nationale sur l’attitude envers quelque chose, alors la nation perd complètement son essence, car elle dépendra alors de l’humeur émotionnelle. Dans ce cas, on ne peut pas se passer d’une machine étatique. C’est sur la relation aux autres États et à leur opposition sous la forme de nations que se construit la nationalité collective des États, qui n’a pas de facteur unificateur fondamental, à l’exception de la frontière étatique. Ce n’est qu’ainsi que l’État tente d’assurer à l’intérieur de ses frontières la construction fragile de diverses communautés nationales, car les émotions et l’attitude de chaque membre de la nation à l’égard des objets non étatiques sont faciles à manipuler. En ce sens, la projection émotionnelle sur le monde extérieur ne fait pas partie intégrante de l’identité nationale et n’affecte en rien la nation elle-même, mais l’État utilise ce plan pour créer sa soi-disant nationalité étatique. Par exemple, l’un des facteurs unificateurs de toutes les nations indiennes est l’hostilité envers le Pakistan, car sur ce fond émotionnel, l’État construit une identité nationale étatique unificatrice. De même, les nations pakistanaises sont guidées par les auspices de l’hostilité envers l’Inde, créant une nationalité pakistanaise technique. Être Indien, c’est donc détester tous les Pakistanais, et inversement, être Pakistanais, c’est mépriser tous les Indiens. Miller donne plusieurs exemples de pays qui démontrent soi-disant l’efficacité de l’homogénéité culturelle pour la gouvernance (35). Des démocraties comme la Suisse et le Canada, qui ont mis en œuvre avec succès des politiques visant à la justice sociale, ont une identité unificatrice. Miller reconnaît que ces pays peuvent être considérés comme multinationaux dans une certaine mesure, mais ils démontrent néanmoins la force unificatrice de la solidarité qui résulte d’un caractère national unique. En Suisse, l’identité nationale du XIXe siècle a été forgée de manière consciente par les mythes de l’origine et de la résurrection des héros nationaux, malgré des identités linguistiques, religieuses et cantonales distinctes. Miller cite également le gouvernement décentralisé de la Suisse et le développement d’institutions démocratiques comme ayant contribué à la formation du caractère national de la Suisse. Quant au Canada, il se vante également d’avoir un gouvernement efficace et une justice sociale. Bien que les francophones et les anglophones se considèrent comme des types différents de Canadiens, ils ont une identité canadienne commune. Miller pointe ici une source de fierté canadienne, comme le système national de santé, qui distingue le Canada de son voisin américain. Autrement dit, au Canada, il existe des institutions qui sont devenues un élément unificateur de l’identité de la nation canadienne. Pour comparer la Suisse et le Canada, Miller donne l’exemple du Nigéria, qui est une organisation de plusieurs groupes ethniques. La politique de ce pays prend la forme d’une lutte entre ces groupes pour la domination sous forme de marchandage et de corruption. Et cela parce qu’au Nigéria, il n’y a pas de confiance mutuelle entre les groupes nationaux, et donc pas d’identité nationale commune. Quant au Nigéria, je ne prétends pas qu’il s’agit d’un pays multinational, bien que ce fait ne justifie en rien les conséquences du pouvoir politique nigérian. Quant au Canada et à la Suisse, je soutiens que ces deux pays sont également multinationaux. Le problème ici est que Miller remplace à plusieurs reprises le concept de nation, qui existe en tant que jeu de langage de la communauté, par une nation qui n’existe que dans l’imagination des institutions étatiques, c’est-à-dire une formation mythique de l’État. En effet, les montres suisses, le chocolat suisse, les banques suisses, le fromage suisse, le système électoral suisse des cantons – ce sont toutes des idées unificatrices autour d’une seule nation suisse. Mais nous parlons d’une nation technique qui n’existe pas dans la réalité. De même, on peut choisir une combinaison de définitions générales sur n’importe quel pays, souvent sous forme de clichés, qui indiqueront l’existence d’une soi-disant identité nationale unique en son sein. Mais comment peut-on nier l’utilisation en Suisse de codes d’activité complètement différents des mêmes nations francophones, germanophones, italophones et romanches ? Il en va de même pour le Canada. Les habitants de Vancouver, Toronto et Montréal ne se distinguent pas seulement par des différences linguistiques, ethniques et sociales, mais aussi par des modes de vie complètement différents. Et lorsque Miller mentionne le système de santé canadien comme un facteur unificateur de la nation, il oublie les différences tout aussi importantes au sein de ce système entre les provinces canadiennes. Très souvent, il s’agit du temps d’attente pour un spécialiste spécialisé et pour trouver un médecin de famille, ce qui dans certaines provinces peut être un processus long et difficile (Québec), et dans d’autres, au contraire, simple et pratique (Colombie-Britannique).
Après avoir soutenu en faveur de l’autodétermination nationale, Miller répond aux critiques selon lesquelles le principe n’est pas applicable au monde réel (36). Pour éviter le chaos politique, il suggère de définir un certain nombre de conditions pratiques qui doivent être respectées avant qu’une sous-communauté puisse légitimement prétendre établir son propre État. Une condition est posée par défaut. Un groupe qui veut devenir politiquement indépendant doit avoir une identité nationale distincte des nationalités des autres membres de l’État. Ensuite, il faut s’assurer que le territoire du groupe ne contienne pas une minorité dont l’identité propre serait radicalement incompatible avec l’identité du groupe. Sinon, au lieu de créer un État-nation viable, la sécession du groupe ne ferait que recréer un ordre multinational dans un État plus petit. Il faudrait aussi porter une certaine attention aux membres du groupe qui resteront dans l’État parent plutôt que dans l’État nouvellement créé. L’effet de la sécession ne devrait pas les laisser dans une position de faiblesse. Miller mentionne le désir d’indépendance du Québec. Il explique que cet argument va à l’encontre de la séparation de la nation québécoise (37). Si le Québec devait se séparer du Canada, cela détruirait la double identité que le Canada a cherché à atteindre et laisserait les communautés francophones des autres provinces isolées et sans défense politique. Une autre condition concerne la viabilité du nouvel État créé, en ce sens qu’il doit être en mesure de se défendre territorialement. Mais en même temps, il ne doit pas affaiblir l’État parent en rendant extrêmement difficile sa défense militaire. Enfin, le territoire faisant l’objet de la sécession ne doit pas contenir la totalité des ressources naturelles importantes de l’État. Miller souligne ici que la séparation de l’Écosse ne serait pas pratique parce que la perspective d’extraire des quantités importantes de pétrole de ce qui deviendrait les eaux territoriales écossaises violerait cette condition. Le problème, cependant, est que Miller rend toute sécession d’un groupe d’un État injustifiable. Une communauté qui cherche à devenir un État indépendant aura de toute façon d’autres groupes nationaux sur son territoire, ou laissera ses membres sans protection à l’extérieur du nouvel État créé. Sans compter que cet acte de sécession affaiblira l’État, qui perdra des territoires ou des ressources, et le groupe, qui sera incapable de garantir sa viabilité économique ou de défendre ses frontières. Et lorsque Miller souligne la pertinence de l’autonomie ou de l’extension des droits régionaux au sein des États pour les Catalans, les Écossais, les Québécois, les peuples autochtones des États-Unis ou les Saamis de Suède, il approuve étonnamment la partition de la Bosnie en États indépendants pendant la guerre de Bosnie (38). Son argument est qu’avant le déclenchement du conflit militaire qui a eu lieu en Bosnie-Herzégovine entre 1992 et 1995, les nations étaient uniformément mélangées sur l’ensemble de la zone géographique. Par conséquent, une autonomie partielle sur le territoire ne pouvait pas être la réponse au conflit. La seule solution possible était une forme de partage du pouvoir entre les groupes, garantissant à chacun au moins une certaine mesure d’autodétermination. Miller, cependant, oublie que la fin du conflit a abouti à la création d’une Bosnie-Herzégovine multiethnique, où vivent actuellement des Bosniaques (50 %), des Serbes (30 %) et des Croates (15 %). C’est précisément ce qui devrait condamner la sécession de la Bosnie-Herzégovine de la Yougoslavie, en vertu du principe d’autodétermination nationale de Miller, sans parler de la capacité fragile du pays nouvellement créé à défendre ses frontières et de sa dépendance militaire vis-à-vis d’autres États. Miller parle d’abord du désir interne de chaque nation de voir ses frontières territoriales coïncider avec celles de l’État, puis revient brusquement en arrière, en créant des conditions qui rendent ce désir impossible.
Dans la partie suivante de son ouvrage, Miller étudie les effets internes de la nationalité étatique sur une minorité nationale, ou plutôt sur l’identité ethnique, dont l’essence peut être en contradiction avec la politique étatique d’unification de la nation au sein du pays (39). À cet égard, Miller attire l’attention sur le nationalisme conservateur et le multiculturalisme radical comme les deux forces les plus opposées du vecteur politique de l’État au XXe siècle. Le nationalisme conservateur se fonde sur l’affirmation selon laquelle l’identité nationale est quelque chose qui nous est donné par le passé, par nos ancêtres, et que nous devons donc la protéger des forces extérieures qui l’affaiblissent. Ayant la plus grande signification pour nous, cette identité collective doit être transmise aux générations futures. Il s’ensuit que nous devons décider de questions telles que l’éducation des enfants ou l’immigration non pas en fonction des droits et libertés présumés d’une personne, mais en fonction de la nécessité de préserver une identité nationale commune. Contrairement au nationalisme, le multiculturalisme radical ou le libéralisme considèrent l’État comme une arène dans laquelle de nombreux types d’identités individuelles et de groupe devraient être autorisés à coexister et à s’épanouir. L’État ne doit pas se contenter de tolérer, mais reconnaître de manière égale chacune de ces identités. L’identité nationale perd alors intrinsèquement sa valeur, car elle est considérée comme le produit d’une manipulation politique. En même temps, les identités dérivées du sexe, de l’ethnie, des croyances religieuses, etc., doivent être célébrées comme des expressions authentiques des différences individuelles. Miller précise qu’aucune de ces deux positions n’est adéquate lorsqu’on les examine de plus près. Le nationalisme conservateur soutient l’idée que l’identité nationale implique la loyauté envers l’autorité. La nation est comparée à une famille, une communauté qui a construit en elle-même une relation inégale entre l’État-parent et les enfants-membres. La famille exige de ses plus jeunes membres non seulement la loyauté envers l’autorité mais aussi la piété, ce qui, dans la vision conservatrice, constitue le véritable patriote (40). Sans cette piété, une personne ne peut pas se percevoir correctement comme faisant partie d’une communauté nationale historique et se dégrade donc. Parallèlement à cette dégradation, l’orientation morale est perdue. Mais le nationalisme souffre de graves conséquences de sa doctrine. Premièrement, puisque l’État tire son pouvoir en partie de celui de la nation, il doit reconnaître formellement les institutions à travers lesquelles s’exprime le pouvoir de l’État. Cela contredit immédiatement l’idée selon laquelle l’État devrait être neutre à l’égard de nombreuses pratiques culturelles différentes, notamment religieuses. L’État ne devrait pas accorder aux institutions religieuses des minorités ethniques le même statut qu’elle accorde à l’Église nationale, car cela signifierait affaiblir l’autorité des institutions nationales. Deuxièmement, une conception conservatrice de la nationalité suppose que les croyances et les pratiques qui la constituent doivent être protégées des acides caustiques de la critique (41). Par le biais des mythes, les institutions de l’État entrent dans la vie des citoyens et les absorbent. Il est donc légitime pour l’État de veiller à la préservation des mythes nationaux. Si cela entre en conflit avec des engagements libéraux tels que la liberté de pensée et d’expression, alors ces engagements doivent être abolis. La sainteté, l’intolérance, l’aliénation et le sentiment que le sens de la vie dépend de l’obéissance ainsi que de la vigilance face à l’ennemi sont tous des prix réels qu’une communauté doit payer pour les conséquences politiques du nationalisme conservateur. Troisièmement, une conception conservatrice de la nationalité conduira inévitablement à une attitude décourageante, voire prohibitive, envers les immigrants potentiels qui ne partagent pas encore la culture nationale. L’opposition conservatrice à l’immigration est parfois réduite à un simple racisme. Les nationalistes considèrent comme déstabilisant l’afflux de personnes qui n’ont aucun respect pour les institutions et les pratiques nationales. Miller cite ici la rhétorique de Casey sur la communauté indienne en Grande-Bretagne, qui est antipathique au nationalisme britannique. Casey propose le rapatriement volontaire d’une partie importante de ces communautés comme seul moyen possible de préserver la nation britannique (42). Le problème avec cette position, comme le note Miller, est que les nationalistes sont bien conscients de l’évolution constante de l’identité nationale et que les traditions qu’ils souhaitent défendre sont peut-être des inventions récentes. Pourtant, s’ils peuvent appeler à la piété et au respect de ces traditions, ils ne les partagent pas forcément. De plus, les nationalistes trouvent très difficile de s’appuyer sur l’autorité des institutions étatiques en l’absence de symboles nationaux universellement respectés. Mais je dirais que le problème du nationalisme est le fait que, aussi paradoxal que cela puisse paraître, il ne représente aucune des nations de l’État. La nation d’un nationaliste est une communauté mythique avec un certain ensemble de croyances et de traditions qui n’ont aucun rapport avec les valeurs de la communauté réellement existante dans le pays. Et c’est là que réside le destin difficile du nationalisme. Il tente d’unifier artificiellement tous les jeux de langage sur le territoire de l’État en un seul, en prenant à certains quelque chose qui, à son avis, est important et complet. Mais un tel jeu nouvellement créé est voué à l’échec dès le début, car l’application de ses nouvelles règles dans la pratique perd une certaine signification pour la communauté. C’est comme si on prenait des règles pour écrire une œuvre poétique et qu’on les mélangeait avec des instructions partielles pour créer des œuvres scientifiques, folkloriques, journalistiques et philosophiques. Le résultat serait quelque chose de dénué de sens et difficile à comprendre. Mais, tout d’abord, ni les poètes, ni les journalistes, ni les scientifiques, ni les folkloristes, ni les philosophes ne s’associeront à cette œuvre prétendument unificatrice. En général, le terme de nationalisme prendrait une couleur plus significative s’il se référait spécifiquement à tel ou tel jeu de langage. Par exemple, quand on parle de nationalisme dans le contexte du jeu de langage de Paris ou de Marseille, on entend le nationalisme parisien ou marseillais. Et il ne s’agit pas de protéger ou de purifier Paris des éléments étrangers de la nation parisienne. Un jeu de langage peut parfaitement coexister avec d’autres codes, car de par sa nature il ne peut pas être isolé. Il se recoupe ou se superpose toujours avec un autre. Dans ce cas, le nationalisme parisien ne peut jouer un rôle que dans la diffusion de compétences particulières, d’habitudes, de découvertes sur la vie quotidienne active à Paris. De même, un nationaliste marseillais peut promouvoir l’histoire, les traditions et les sentiments marseillais de son entourage. Il s’agit des codes des nations selon lesquels un Marseillais ou un Parisien crée et donne un sens à son existence. Et peu importe que chacun de ces nationalistes transmette non pas l’intégralité du code, mais seulement une partie de celui-ci. Il ne peut y avoir de fonction instigatrice, instructive ou exigeante dans le nationalisme, car le jeu de langage de la nation n’est qu’un moyen, et un moyen ne peut être que transmis et appliqué.
Selon Miller, le multiculturalisme radical pose également un problème en matière de nationalité (43). Une société multiculturelle permet à chacun de ses membres de définir lui-même son identité en trouvant les groupes avec lesquels il a la plus grande affinité. Chaque groupe est également autorisé à formuler son propre ensemble authentique de revendications et de demandes, reflétant ses circonstances particulières. L’État doit respecter et reconnaître ces revendications comme égales. Le problème est, comme le note Miller, que le multiculturalisme radical célèbre à tort les identités sexuelles, ethniques et autres au détriment des identités nationales. Les politiques multiculturelles ne reconnaissent pas non plus l’importance de fournir des identités nationales aux groupes minoritaires qui ne sont pas encore pleinement intégrés socialement dans les communautés majoritaires établies. Miller donne l’exemple de la Gay Pride, la croyance selon laquelle la sexualité gay doit être affirmée publiquement et politiquement. C’est une identité partagée par de nombreux militants gays, mais pas par de nombreux autres homosexuels et lesbiennes, qui préfèrent considérer leur sexualité comme une affaire privée. La situation est quelque peu similaire avec les identités ethniques et autres groupes. Dans l’identité ethnique étant généralement omniprésente, une personne n’a pas vraiment le choix de son appartenance. Même si elle n’accepte pas volontiers cette identité, les autres la traiteront d’une manière qui laisse clairement entendre qu’elle est asiatique, juive, catholique, noire, etc. Citant Harls, Miller donne l’exemple d’Américains qui ont pu éviter le problème du multiculturalisme au cours du processus de formation de la nation américaine (44). Aujourd’hui, l’identité nationale américaine n’a plus de contenu ethnique notable. Autrement dit, les groupes ethniques se considèrent naturellement comme ayant une identité à trait d’union (irlando-américaine, asiatique-américaine, afro-américaine). Dans cet exemple, Miller souligne que les groupes minoritaires veulent se sentir chez eux dans la société dans laquelle eux-mêmes ou leurs ancêtres ont émigré. Ils veulent se sentir attachés à ce lieu et à une partie de son histoire. Par conséquent, ils ont besoin d’une histoire qu’ils partagent avec la majorité. Et cette histoire peut être racontée de différentes manières et avec des accents différents par différents groupes. Le multiculturalisme radical ignore le besoin et le désir des minorités ethniques d’appartenir en tant que membres à part entière de la communauté nationale. Cette indifférence implique même une insistance sur le fait que les groupes minoritaires devraient se défaire d’une identité considérée comme oppressive en termes de différences de groupe. Dans ces conditions, cependant, les différents groupes ne se feront pas confiance, ce qui conduira à un manque de justice sociale dans l’État. Miller conclut que les multiculturalistes radicaux veulent affirmer la différence de groupe aux dépens de la communauté nationale, mais ils ne réfléchissent pas suffisamment à la manière dont la politique de la différence de groupe devrait fonctionner. Dans ce contexte, j’ajouterais que le multiculturalisme fait généralement la distinction entre un groupe ethnique et l’identité nationale commune de l’État, que nous avons précédemment définie comme mythique. Mais ici, le plan des identités nationales selon les jeux de langage des groupes est complètement ignoré. Pourquoi la communauté turque des Pays-Bas est-elle proclamée comme un groupe ethnique distinct avec des droits et des préférences distincts, tandis que la communauté des expatriés avec son code de nation spécial est considérée simplement comme un groupe d’étrangers travaillant dans des entreprises néerlandaises ? Pourquoi les Québécois sont-ils reconnus comme une nation distincte au sein d’un Canada uni, alors que les Calgariens, qui se distinguent du reste des provinces canadiennes par leurs profondes racines dans la culture des cow-boys occidentaux, sont considérés simplement comme des Canadiens ? Si le nationalisme conservateur ignore l’existence de toute nation à l’intérieur des frontières de l’État, alors le multiculturalisme radical est obstinément construit sur les principes de séparation ethnique, un principe qui ne reflète pas non plus la véritable image de l’identité nationale.
Dans sa critique du nationalisme et du multiculturalisme, Miller souligne que la nationalité ne doit pas nécessairement être autoritaire comme le prétendent les conservateurs. Mais en même temps, elle ne doit pas être permissive, comme le voudraient les libéraux. Tout ce qu’on attend des immigrants, c’est qu’ils acceptent les structures politiques actuelles et qu’ils entrent en dialogue avec la communauté d’accueil afin de pouvoir former une nouvelle identité commune. Les États peuvent légitimement prendre des mesures pour garantir que les membres de différents groupes ethniques soient inclus dans les traditions et les modes de pensée nationaux. Miller cite ici la France comme un exemple instructif (45). Au XIXe siècle, une politique délibérée de « création de citoyens français » à partir des différentes communautés vivant sur le sol français a été menée. Les deux principaux instruments étaient l’éducation obligatoire dans les écoles publiques et le service militaire. Autrement dit, les Français ont fait exactement ce que Miller encourage. Ils ont introduit des lois d’immigration généreuses, tout en prenant des mesures pour garantir que les groupes de nouveaux arrivants soient correctement intégrés à la citoyenneté française, quelle que soit leur origine culturelle. Miller ajoute que l’identité nationale de la France a considérablement changé au cours du siècle dernier, mais cela ne signifie pas que le pays est aujourd’hui au bord de la désintégration. La France a simplement acquis une nouvelle identité nationale unificatrice dans les conditions actuelles et au fil du temps. Et là encore, nous allons opposer Miller. Unir les Français en une nation mythique sous les auspices de symboles nationaux et de slogans tels que « Liberté, Égalité, Fraternité » n’est pas difficile. En général, c’est ce que chaque État essaie de faire à un degré ou à un autre. Mais définir l’identité française sur la base de facteurs plus réels de la nationalité d’un citoyen français que de chanter la Marseillaise est une tout autre histoire. Dire qu’un Français d’origine chinoise et un Français d’origine algérienne se percevoivent dans la fraternité nationale, bien que tous deux vivent en France depuis des décennies, c’est loin d’être la réalité. La France ne peut en aucun cas être considérée comme un modèle réussi d’intégration de différentes minorités nationales dans une identité nationale unique, car beaucoup de ces communautés ont une conscience claire de l’existence d’un groupe distinct avec des valeurs différentes, c’est-à-dire un jeu de langage. Cela peut se traduire par une approche particulière de la conduite des affaires, le besoin de magasins spécialisés, la sphère des loisirs, d’autres fêtes et habitudes quotidiennes qui sont en contradiction avec les habitudes nationales. Et il peut même y avoir une réticence à parler français, car dans leur jeu linguistique, le français ne joue pas un rôle significatif et est remplacé par une autre langue que la majorité utilise entre eux pour la communication de base.
Dans le dernier chapitre de son ouvrage, Miller se demande si l’ère des nations et des États-nations touche réellement à sa fin, en particulier dans le cas des populations des sociétés libérales occidentales (46). D’où vient donc cette idée selon laquelle la nationalité est en déclin dans le monde ? Tout d’abord, le marché mondial et la croissance du commerce international ont conduit à une uniformisation de la consommation et des modes de vie individuels. Partout, les modes de consommation se ressemblent de plus en plus dans ce que les gens mangent, portent, lisent, écoutent et regardent. Ensuite, la mobilité géographique s’est accrue. Les gens voyagent et font l’expérience de modes de vie pas si différents, ce qui fait que les étrangers semblent moins étrangers. Puisque notre conviction que nous partageons une identité nationale distincte dépend d’un certain degré d’ignorance de la façon dont les gens vivent réellement dans d’autres endroits, elle est érodée par le contact direct avec ces cultures. Troisièmement, les gens se définissent de plus en plus en termes de groupes et de communautés, dont beaucoup sont soit infranationaux, soit supranationaux. Les personnes religieuses s’associent à une secte locale ou à une foi mondiale, comme l’islam. Les scientifiques ou les professionnels de différentes parties du monde communiquent entre eux et forment des équipes, indépendamment des frontières nationales. Les militants politiques exercent de plus en plus leurs activités dans des campagnes internationales plutôt que dans des partis nationaux. En outre, la création d’organismes supranationaux tels que l’UE a mis en évidence que les gouvernements nationaux ne sont pas suffisamment puissants pour faire face à des forces extérieures, comme les effets secondaires indésirables du marché mondial. Les Européens ne peuvent plus se définir uniquement par le nom d’une nationalité d’État comme l’Espagnol ou l’Allemand. Ils commencent à se considérer au moins comme Européens, ou ils évoluent dans la direction infranationale opposée et se définissent comme Catalans ou Bavarois. Tout cela affaiblit l’identité nationale, tandis que d’autres loyautés et attachements se renforcent (47). Miller tente néanmoins de minimiser les principales tendances qui soulignent le déclin de la nationalité dans les sociétés libérales occidentales. Il souligne que l’homogénéisation culturelle n’a pas un impact aussi négatif sur l’identité nationale, puisque la convergence des modèles de consommation concerne davantage la culture privée que publique. Alors que la culture publique ou politique est un ensemble d’idées sur la nature de la communauté politique, ses principes et ses institutions, ses normes sociales, etc., la culture privée est l’ensemble des croyances, des idées, des goûts et des préférences qui peuvent être propres à un individu ou, plus vraisemblablement, partagés au sein d’une famille, d’une classe sociale, d’un groupe ethnique ou de ce qu’on appelle une enclave de style de vie. Miller donne l’exemple des communautés serbe et croate qui vivaient côte à côte dans différentes parties de l’ex-Yougoslavie, suivant presque le même modèle culturel, mais conservant néanmoins des identités nationales distinctes qui ont été mobilisées lorsque la question s’est posée de savoir où et dans quelles conditions tracer les frontières politiques. Si la convergence culturelle privée suffisait à effacer les différences nationales, il n’y aurait pas de problèmes québécois et pas de problème bosniaque (48). Ici encore, la lutte des termes se pose. Ce que Miller considère comme une culture commune ou politique ne renvoie en aucune façon à la nation dans sa conception unique, mais plutôt à un concept généralisé abstrait qui définit une communauté. Le jeu de langage de la nation ou de la culture privée, comme l’appelle Miller, mais à une échelle plus large, est précisément ce qui devrait constituer l’identité nationale. Et le fait que le problème du Québec et de la Bosnie ait existé, malgré l’affinité des groupes nationaux avant le conflit, suggère justement que la formation des frontières étatiques se produit aux dépens de décisions et d’actions politiques aléatoires et pas toujours rationnelles. Comme l’écrivait Miller au début de son ouvrage, la politique de puissance a toujours joué un grand rôle dans la division des nations. Mais personne ne veut se considérer lié à un groupe de personnes simplement parce que les ambitions territoriales de tel seigneur dynastique au XIIIe siècle ont atteint une limite et pas une autre (49). De plus, il convient de considérer les Québécois ou les Bosniaques non pas comme une nation homogène, mais plutôt comme un groupe diversifié de communautés nationales qui pourraient influencer différemment certaines décisions politiques des États respectifs. Quant à la convergence culturelle entre communautés nationales, elle contribue à la fusion des différences nationales. Néanmoins, elle ne suggère pas le déclin de l’identité nationale, mais rend plutôt plus difficile la définition des limites des jeux de langage des nations et accentue davantage leur intersection chaotique partout le long des frontières étatiques sur la carte du monde. Miller continue de contester la montée des identités infranationales et supranationales, qui diminuent l’importance de la préservation des identités des nations (50). Bien que les sociétés soient culturellement fragmentées, Miller estime qu’aucune des lignes de fracture n’est suffisamment profonde pour empêcher les gens de partager l’identité nationale qui sous-tend leurs institutions politiques. En outre, la réduction des divisions sociales telles que la classe et la religion, qui dans le passé constituaient des obstacles à une identité nationale commune, a eu un effet compensateur sur le déclin des nations. Si Miller ne voit pas de menace de la part de l’UE ou d’une autre organisation supranationale de remplacer les loyautés nationales héritées, il se méfie néanmoins des identités infranationales telles que les Basques, les Flamands, les Écossais et d’autres identités similaires dans le monde. Il s’avère que Miller se méfie précisément de ce qui peut incarner le jeu linguistique de la nation, et avec lui, la véritable nationalité, et non un mythe politique englobant. En fait, l’identité nationale européenne et l’identité nationale d’État unificatrice comme la française, l’allemande, etc. sont toutes deux le même concept dans leur contenu. L’une ou l’autre repose sur un mythe politique qui tremblera toujours devant la fondamentalité de la nation infranationale. Si la force de la nation politique globale de l’État dépend de nombreux facteurs internes et externes, rien n’affecte la force de la nation sous-étatique, car le jeu linguistique est par nature fluide et en mutation. En tant que véritable actif, il ne peut se multiplier qu’en absorbant de nouvelles pratiques et connaissances. Peu lui importe qu’il englobe ou non une communauté à l’intérieur des frontières de l’État, qu’il soit suffisamment différent des autres nations, car l’essence du jeu linguistique est le jeu lui-même, qui donne un sens à l’action selon ses règles.
Si Miller ne pense pas que l’idée de nationalité soit en déclin inexorable, il ne nie pas que la réflexion sur l’identité nationale soit devenue plus problématique. Les gens sont moins sûrs de ce que signifie être Français ou Suédois, et de ce que cela implique d’adopter une telle identité. Miller illustre cette incertitude en prenant l’exemple de l’identité nationale britannique, dont la compréhension s’est développée au cours des derniers siècles, mais qui ne correspond plus au monde moderne (51). Linda Colleys a tenté de retracer les origines de cette identité aux XVIIIe et XIXe siècles et a conclu qu’une véritable identité nationale britannique a commencé à se forger avec le début de la consolidation des Écossais et des Gallois en une seule structure avec les Anglais. La première composante de cette identité était le protestantisme, qui a conduit l’île sous les auspices d’une religion éclairée et a été menacé par les forces des ténèbres représentées par le catholicisme. L’identité britannique s’est finalement formée et consolidée au cours de la lutte qui a duré un siècle contre les Français, et qui a culminé avec les guerres napoléoniennes. Les succès militaires contre les Français, la conquête des possessions impériales à leurs dépens et la transformation de la Révolution française en dictature ont été perçus comme la confirmation d’une identité britannique qui incarnait les principes fondamentaux du libéralisme : le protestantisme, un gouvernement limité et le libre-échange à l’étranger. Un deuxième aspect de l’identité britannique était l’idée d’empire, ou plutôt la façon dont les Britanniques la percevaient. Au début de la période d’expansion impériale, l’idée principale était de transmettre aux autres parties du monde les principes qui constituaient l’identité britannique elle-même, c’est-à-dire le protestantisme, un gouvernement limité et le libre-échange. Après la rébellion des colonies américaines, l’idée d’expansion impériale a subi des changements. L’empire a commencé à signifier la domination de peuples civilisés sur des peuples non civilisés qui n’étaient pas encore capables de se gouverner eux-mêmes. Autrement dit, la mission n’était plus de transmettre les principes britanniques tels qu’ils étaient, mais d’en fournir une version partielle : une administration bien coordonnée, un système judiciaire impartial, etc. Miller souligne que tous ces éléments de la formation de la nationalité britannique confirment ce qui suit. Les identités nationales se forment souvent en opposition à une autre nation, perçue comme une menace et dont les qualités sont perçues comme diamétralement opposées aux leurs. Mais le monde a changé. De nombreux Britanniques se demandent aujourd’hui s’il reste quelque chose de valable dans l’identité britannique. L’après-guerre a mis en évidence son érosion, qui revêt trois aspects (52). Le premier est que la Grande-Bretagne a subi un déclin économique par rapport à l’époque où l’idée d’institutions fortes et du mode de vie britannique, qui ont conduit au succès commercial, était chérie. Le commerce extérieur n’est plus aussi vivant et prospère qu’auparavant. De nombreux pays européens, comme l’Italie, se portent mieux, ce qui a porté un coup sévère à l’image de la Grande-Bretagne et, avec elle, aux institutions qui constituaient son identité nationale. Le deuxième aspect est que la constitution britannique, qui était considérée comme unique en Europe, n’est plus quelque chose d’extraordinaire. Dans le contexte de nombreux autres pays qui ont établi des formes stables de démocratie libérale avec des déclarations des droits, des cours constitutionnelles, etc., les institutions britanniques commencent à paraître dépassées et ignorantes. Enfin, le retrait de la Grande-Bretagne de son empire d’outre-mer a conduit à la désintégration rapide des institutions étrangères, remplacées dans certains cas par un régime militaire, dans d’autres par un gouvernement à parti unique. Autrement dit, l’exportation de la civilisation et des institutions parlementaires qui ont assuré le succès de la Grande-Bretagne s’est transformée en une imposition arbitraire du pouvoir colonial. En prenant ces trois points en compte, Miller conclut que l’expérience de l’après-guerre des Britanniques a directement sapé les éléments fondamentaux sur lesquels l’identité britannique s’était initialement construite. D’un côté, il existe un fort sentiment que les Britanniques ont une identité distincte, mais on ne sait pas très bien en quoi elle devrait consister. Miller se demande ensuite si nous pouvons nous réfugier dans ce que l’on appelle « l’anglicité culturelle », comme la consommation de thé, le fish and chips, la passion du jardinage, l’amour de la campagne, etc. (53). Pour Miller, il s’agit d’un ensemble de caractéristiques et de pratiques privées qui sont considérées comme typiquement anglaises, mais qui ne peuvent pas remplacer une identité nationale britannique pour deux raisons. Tout d’abord, les pratiques et les connaissances privées ne nous disent pas comment gérer notre vie commune. Le fait que les Anglais aiment les animaux et les pubs de campagne n’a aucune importance lorsqu’il s’agit de décider du sort collectif de la nation britannique. Deuxièmement, la culture privée ne peut pas être partagée par tous les membres de la société. Si nous disons qu’être véritablement britannique signifie aimer jardiner et regarder le cricket, alors nous érigeons immédiatement des barrières contre tous ceux qui n’apprécient pas ces choses. En fin de compte, « l’anglicité culturelle » ignore l’existence de l’Écosse, du Pays de Galles et de l’Irlande du Nord. Les traiter comme des nations séparées au sein de la Grande-Bretagne, comme un État multinational, n’est pas une option pour Miller. Cela déformerait les relations passées et présentes entre les Écossais et les autres minorités nationales et le Royaume-Uni dans son ensemble. Miller nous rappelle une fois de plus le rôle important des Écossais dans la formation de l’identité nationale britannique et que ce sont eux qui ont joué un rôle central dans l’expansion impériale. Ce serait donc une erreur de qualifier les Écossais de nation séparée ou même de groupe ethnique, même si la plupart des Écossais souligneraient leur « écossité » lorsqu’on leur demanderait de faire la distinction entre l’identité écossaise et l’identité britannique.
A ces remarques sur l’impossibilité d’utiliser les pratiques et les traditions pour définir une nation, commençons par dire que Miller sous-estime la diversité des nations britanniques. Je ne parle même pas des Écossais, des Gallois et des Irlandais. « L’anglicité culturelle » de Miller peut être décomposée en sous-groupes distincts d’Anglais, tout comme il est courant de distinguer n’importe quelle minorité nationale. Supposer que les Anglais de Bristol, Doncaster, Norwich ou Londres partagent la même « anglicité » revient à simplifier à outrance et à généraliser les pratiques et les connaissances des communautés de ces villes d’Angleterre. Lorsque Miller soutient que pour définir une nation, la culture privée n’a aucune valeur, parce qu’elle ne peut agir au nom de la nation entière et gouverner l’État, il fait de la nation un instrument purement politique et ne fournit pas vraiment de moyen d’identifier une communauté. Certes, cela n’a aucun sens de définir toutes les communautés de Grande-Bretagne par une seule anglicité, mais elles peuvent être définies par une grande variété de codes de nations. Bien sûr, il est impossible d’universaliser un code pour l’ensemble de la Grande-Bretagne, car certains l’ignoreront, d’autres le posséderont partiellement. Mais pourquoi cela devrait-il poser problème ? À l’époque de la soi-disant forte identité britannique, qui était censée unir politiquement toutes les communautés de Grande-Bretagne, tous les Britanniques ne soutenaient pas unanimement le protestantisme, le gouvernement limité et le libre-échange, ou les soutenaient partiellement. De plus, assigner une mission directrice et unificatrice au code de la nation revient à expliquer à un poète pourquoi il doit écrire de la poésie. Le jeu linguistique lui-même possède déjà un mécanisme de gestion qui unit tous les participants de la communauté. Si nous parlons d’unification et de contrôle de tous les jeux linguistiques au sein d’un État, cela ne concerne que la gestion politique de l’État. La nation n’a rien à voir avec cette gestion, qui dépasse les règles du jeu linguistique. Lorsque Miller dit que l’Écosse ne peut en principe pas être considérée comme une nation distincte, car elle est à l’origine de la création de l’identité britannique, il fait toujours appel au mythe national de la Grande-Bretagne. Il est indéniable que les Écossais ont participé à la création de ce mythe, mais cela ne nie pas que les Écossais constituent une communauté nationale distincte. Alors que l’identité nationale britannique traverse une crise profonde, l’identité écossaise est plus vivante que jamais et survivra encore à de nombreuses autres crises nationales mythiques. Il est clair que Miller essaie de trouver des réponses à des questions difficiles : qu’est-ce qui lie les différentes communautés de l’État et quelle est la source des obligations que nous avons les uns envers les autres, contribuant à la satisfaction sociale et étatique des besoins des citoyens. Mais il est inutile de chercher ces réponses dans l’identité nationale, car elles dépassent le plan de sa fonction. Les propositions de Miller pour revitaliser l’identité nationale britannique peuvent être plausibles s’il croit que l’État est gouverné plus efficacement lorsque la nationalité s’exprime à travers des principes politiques. Cela peut impliquer un débat public ouvert sur la nature de l’identité nationale britannique, un renouvellement de la constitution écrite britannique et une éducation civique comme moyen de transmettre une identité nationale redéfinie et incarnée constitutionnellement à la génération suivante (54). Mais encore une fois, cela n’a aucun rapport avec les nations britanniques, qui existent dans la réalité, et non dans un environnement politique fictif. Tout ce que Miller essaie d’accomplir à travers la nationalité britannique existe déjà en soi dans le jeu linguistique des Écossais, des Gallois ou de toute nation anglaise. Il n’est pas difficile pour chacune de ces communautés nationales de s’identifier dans le monde et de comprendre qui elle est, d’où elle vient et ce qu’elle a fait.
J’ai essayé de présenter tous les arguments concernant la nationalité dans l’ouvrage de Miller et, comme on peut le voir, tant les libéraux que les nationalistes acceptent l’identité nationale comme quelque chose de dû et qui ne se situe que dans le cadre de l’État-nation. Les nationalistes insistent sur le fait qu’il n’y a qu’une seule nation dans l’État, ignorant toute diversité de communautés qui peuvent être considérées comme des groupes nationaux distincts. D’un autre côté, les libéraux jouent sur l’opposition à l’État-nation, en lui faisant face, en règle générale, en mettant en avant les identités ethniques, religieuses ou individuelles. En même temps, ils ne reconnaissent pas les communautés nationales qui ne réclament pas la protection de leurs droits et qui semblent aux libéraux faire partie de la nation titulaire. Et Miller lui-même, bien qu’occupant une position quelque peu intermédiaire entre les libéraux et les nationalistes, est très soucieux d’unifier la nationalité seulement quand elle coïncide avec les frontières de l’État. Il perçoit une nation définie par les institutions de l’État, une nation qui unit par la création de mythes historiques, et non par des compétences réelles et des connaissances pratiques. En réponse aux nationalistes classiques, aux libéraux et à Miller, on ne peut que souhaiter laisser la nation tranquille et s’occuper de la structure politique de l’État sans parler de l’identité nationale. Mais à ceux qui parlent de la mort de la nation, aux cosmopolites et aux mondialistes, on peut aussi répondre : l’identité nationale n’est pas héritée, mais acquise, elle ne peut donc pas être désagréable ou avoir des aspects désagréables. Elle ne peut être ni rejetée ni surestimée, à moins qu’elle ne soit une image politique imposée de l’extérieur. Que quelqu’un veuille ou non avoir cette identité, dans tous les cas il l’a, et pas même une, mais plusieurs. Par conséquent, ce discours sur le déclin des nations est non seulement infondé, mais aussi absurde. Si les sociétés deviennent de plus en plus fragmentées culturellement, cela ne parle que de la croissance des nations. Si elles sont soumises à l’influence culturelle homogénéisante du marché mondial, alors pour chaque membre de la communauté les possibilités d’acquérir d’autres identités nationales augmentent. En outre, la nature de la nation en tant que jeu de langage repose sur la division du grand en petit. Les jeux linguistiques d’une nation se croisent, ce qui signifie qu’aux carrefours d’intersection, d’autres avec leurs propres règles et pratiques peuvent se former. Par conséquent, les nations ne peuvent que grandir, s’étendre et devenir plus complexes. Telle est la valeur de la nationalité, qui reflète toujours la diversité des jeux linguistiques des communautés à travers leur témoignage et leur acquisition, quelles que soient les circonstances.
Références :
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